dimanche 12 juin 2011

Etrangers en France. Ière partie.

En Septembre 2011, ça va faire 8 ans que je suis en France. Et ça va faire 8 ans que chaque année, je dois renouveler mon titre de séjour afin de pouvoir être en règle vis-à-vis de l'État Français. Je suis une citoyenne disciplinée, je me prépare toujours à l'avance pour apporter des papiers nécessaires à la préfecture pour effectuer mon changement de carte de séjour. Je considère comme un devoir cette démarche parfois pénible, il m'est tout à fait acceptable de subir des tracas de l'administration française une fois par an pour avoir le droit de vivre en France. Sauf qu'avec des années, cette tâche devient de plus en plus éprouvante, coûteuse et même humiliante. Et plus tu te rapproches d'une grande ville, plus ton devoir ressemble à un parcours de combattant dans les méandres de la bureaucratie inébranlable. Exemple sur la Préfecture du Rhône à Lyon, qui suit mon dossier depuis 2 ans. 

La Préfecture du Rhône est située sur les berges du Rhône, dans le 6ème arrondissement de Lyon, tout près du pont Lafayette qui mène à la place Bellecour, le coeur de la ville. Le 6ème arrondissement à Lyon c'est comme le 16ème à Paris : chic, riche, somptueux, parsemés de boutique de luxe et de traiteurs de haut de gamme, avec ses appartements aux terrasses verdoyantes sur les toits dont le mètre carré dépasse l'imaginaire. Vous êtes dans le monde de la classe supérieure lyonnaise : blanche, riche, française. Il y a juste une tâche noire dans ce tableau idyllique - 5 matinées par semaine, des dizaines d'étrangers font la queue devant la préfecture dans l'espoir d'obtenir leur titre de séjour. Tous ces étrangers pauvres qui parlent des langues bruyantes, avec leurs gosses qui chahutent et qui pleurent, toutes ces femmes voilées et les hommes aux vêtements effrités, pire encore, des gens de voyages - toutes ces personnes qui rêvent de s'intégrer à la société française s'amassent devant le beau bâtiment de la Préfecture du Rhône, comme des mouches autour d'un pot de confiture. Et chaque année, ils sont de plus en plus nombreux à "noircir" les paysages des berges du Rhône, jusqu'au point que la préfecture a dû mettre en place un dispositif policier pour contenir cette foule désordonnée derrière les grillages. On est bien d'accord qu'en France, il n'y a que la police qui est en mesure de maîtriser les êtres bizarres que sont les étrangers.

Ma première visite à la Préfecture du Rhône remonte au Septembre 2009, quand j'ai été obligée de faire mon changement d'adresse pour cause d'aménagement dans la belle ville de Lyon. Je suis arrivée sur les lieux peu après 9h du matin, j'ai fait la queue pendant 2 heures dans l'exiguïté improbable pour accéder à l'accueil et je suis repartie bredouille. Trop tard pour avoir le ticket. J'y suis retournée le lendemain, avant 9h cette fois-ci, et après 3 heures de la queue interminable j'ai pu avoir un ticket... qui me donnait le droit d'attendre encore 3 heures pour pouvoir déposer mon dossier. En somme, quand tu vas à la préfecture, il faut prendre une journée entière au travail, se lever tôt et prévoir passer beaucoup de temps dans la proximité immédiate avec d'autres personnes, en d'autres termes, dans l'odeur de la sueur et le brouhaha totale. Les locaux de la préfecture étant d'une superficie insuffisante pour le nombre d'étrangers présents, il est pratiquement impossible d'y circuler librement sans jouer des coudes. Ainsi, les normes de la sécurité incendie ne sont-elles pas respectées. La Préfecture a voulu agir pour améliorer la situation et en Janvier 2010, un nouveau système de pré-accueil a été mis en place. A partir de cette date-là, toutes les demandes devaient être traités au préalable par quelques guichets à l'accueil et seulement les dossiers complets pouvaient accéder à d'autres guichets pour le véritable dépôt du dossier. Vous avez l'impression que ça ressemble à l'ancien système? C'est bien cela! Ils ont juste viré tous les gens qui attendaient à l'intérieur du bâtiment dehors. Maintenant, au lieu d'attendre ton tour au chaud, tu devais faire la queue dehors, dans le couloir de grillages prévus à cet effet, entouré de policiers, sans possibilité d'aller aux toilettes ou prendre un café, qu'il vente ou qu'il pleuve. Ouf! On n'a plus de problème de sécurité incendie! On a juste des dizaines de sous-humains attendant dans le froid pour avoir le droit de passer de "l'autre côté de la barrière". Ah non, pardon, parfois il y a aussi des conjoints des étrangers de nationalité française, dont la présence est obligatoire pour le renouvellement des papiers, qui sont là, complètement abasourdis et indignés de voir leurs proches se faire traiter comme des personnes de la deuxième sorte.

Est-ce que je dois encore préciser qu'après avoir passé toutes les étapes de ce parcours sinueux, tu dois attendre parfois jusqu'à 6 mois pour avoir tes papiers? Parce qu'une fois n'est pas coutume, il faudra repasser à la préfecture pour la délivrance du titre de séjour et parfois re-repasser pour prolonger son récépissé faute du titre. Et quand tu penses que tout ce petit manège te coûte 70 euros par an, tu as pleinement l'impression d'être bien intégré à la société : que ça te fasse du mal ou du bien, en fin de compte, tu paies comme tout le monde.

Jeudi matin, une goutte d'eau de trop a fait déborder mon vase de patience quand pour la énième fois on s'est préparé avec M. pour faire une longue queue devant la préfecture. Armés de magazines, bouquins, Ipods, on est prêt à affronter la brise matinale, les resquilleurs et autres inconvénients de l'attente. Arrivés à 8h10, on s'étonne de peu de gens devant le grillage. On pense avoir de la chance de passer au pré-accueil avant 12h. A 9h, la Préfecture du Rhône ouvre ses portes et 20 minutes après un léger remue-ménage devant l'entrée une nouvelle tombe comme un coup de tonnerre : il n'y a plus de tickets pour la journée. Incrédules, on essaye d'en savoir plus. Comment est-ce possible, la dernière fois on était arrivés plus tard et on avait obtenu le premier ticket dans la matinée? Une jeune stagiaire circulant dans la foule explique : "Nous avons changé le système, maintenant, c'est 20 tickets par jour et pas plus, distribués à l'ouverture des portes aux premiers arrivés." Quoi? 20 tickets par jour? C'est une blague!? Une employée de la préfecture tente de calmer les esprits : "Nous n'arrivons pas à voir tout le monde, on est bien astreints de limiter le nombre de candidats pour pouvoir traiter les dossiers". Comment on fait alors pour avoir une chance de passer? "Ben.. il faut venir avant 6h. Et c'est encore rien par rapport à Paris, là-bas ils plantent des tentes la veille pour avoir un ticket..." 

Et là, c'est le drame. Je peux encore supporter une attente interminable sous l'œil des policiers sans faire pipi, mais PLANTER UNE TENTE??? J'éclate en sanglots. J'ai honte. Honte d'être étrangère, d'être demandeuse, honte d'être là tout simplement et faire subir ce "traitement" à mon mari. Il me prend dans ses bras et me rassure, mais rien n'y fait, je me sens humiliée, déboussolée, perdue. Comment est-ce possible dans un pays aussi civilisé comme la France? Où sont nos capacités d'accueil tellement vantées par les autorités? Pourquoi traite-t-on les étrangers de cette manière sous prétexte de manque d'espace? Serait-il aussi difficile d'installer des guichets dans un gymnase et ne pas faire attendre des familles entières avec les enfants et les personnes âgées dehors, debout, dans la rue? 

Pour moi, cette situation est inadmissible. Mais qu'est-ce que je peux faire? Par définition, les étrangers sont soumis aux règles du renouvellement des papiers et sont plutôt habitués aux inconvénients de cette démarche. Mais il y a des limites à tout. Le nombre d'immigrés augmente chaque année et les capacités d'accueil n'arrivent plus à suivre. C'est beau de changer le système et d'instaurer encore plus de barrières et de filtres pour traiter les demandes, ça ne fera pas baisser le nombre de demandeurs. Ici on ne soigne pas la maladie, mais les symptômes. Virer tout le monde dehors ne découragera pas les étrangers de se présenter à la préfecture, car on a tous besoin des papiers pour vivre.

Ce jour-là, nous sommes repartis sans ticket. La prochaine fois, ce sera avec un thermos de café, sous les couvertures chauffantes et à 6h du matin. La France, Terre d'Accueil? On repassera.

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